Retour « Notre société a encore énormément à apprendre »
« Notre société a encore énormément à apprendre »
Expert Lode Godderis
CEO d'IDEWE
Tiré de : Trends 21 avril 2021
Lode Godderis, professeur en médecine du travail et membre du GEMS, le groupe d’experts en charge du coronavirus, confie au magazine Trends qu’il craint une avalanche de problèmes de santé mentale à la suite de la crise du coronavirus. Il affirme néanmoins que nombre de ces problèmes peuvent encore être évités. « Pour ce faire, nous avons besoin que nos autorités osent investir. »
GODDERIS. « Les périodes de récession précédentes nous ont montré que les autorités qui investissent dans l’économie parviennent à s’en sortir. Cela peut sembler contre-intuitif car nous avons plutôt tendance à penser qu’il est préférable d’économiser en ce moment. Nous allons pourtant avoir besoin que nos autorités osent investir. Il est essentiel de faire radicalement le choix du travail, non seulement pour l’économie, mais également pour notre santé mentale. Je m’avance parfois à dire que le travail est plus efficace qu’un psychologue pour prévenir et même soigner les problèmes de santé mentale. »
François Perl, l’ancien président du service des indemnités de l’INAMI, affirme sans détour que notre société est malade.
GODDERIS. « En tant que médecin, j’ai la conviction que si une personne est malade ou risque d’avoir des problèmes de santé, il est possible d’y remédier. En ce sens, je suis moins pessimiste. La crise sanitaire actuelle nous a permis de voir que notre société est capable de faire preuve d’une fameuse rapidité d’intervention. En effet, la mise à l’arrêt de l’économie à cause d’un virus constitue un acte très fort. Pourquoi ne pas faire de même avec notre manière de penser ? Nous devons faire évoluer notre société qui s’attache à vérifier si une personne qui reçoit une indemnité y a bien droit, en une société qui répond aux besoins des personnes qui ont des problèmes de santé ou qui ne trouvent pas leur place sur le marché de l’emploi. Nos institutions de sécurité sociale sont majoritairement axées sur le contrôle et beaucoup d’argent y est consacré. Il est temps d’opérer un changement radical et d’utiliser cet argent pour l’accompagnement actif sur le marché du travail. »
À l’instar des jeunes qui souhaitent retrouver des contacts, les travailleurs veulent se sentir bien socialement dans leur travail et être entourés de leurs collègues. Or, le télétravail constitue à présent la norme. Les termes de cette équation sont-ils dès lors incompatibles ?
GODDERIS. « Non. Nous allons parvenir à un équilibre. Obliger quelqu’un à travailler cinq jours par semaine de chez lui met en péril sa santé mentale. Personnellement, je trouve toujours très compliqué d’avoir une discussion informelle derrière un écran. En effet, il n’arrive jamais de tomber « par hasard » sur quelqu’un dans ces conditions (rires). La disparition complète de ce côté informel limite par conséquent les possibilités de concertation. Généralement, le travail à domicile se déroule mieux que prévu et la plupart des travailleurs s’aperçoivent qu’ils sont plus efficaces pour toute une série de tâches. Cela dit, ils sont aussi nombreux à avoir pris conscience que le télétravail à temps plein n’est pas fait pour eux. S’ils ont le choix, ils optent pour deux ou trois jours de travail à la maison et deux ou trois jours de travail au bureau. Cette forme de travail hybride sera adoptée un peu partout et les organisations et entreprises qui mettront en place un tel système connaîtront un franc succès. Le principal défi sera de trouver un moyen de s’organiser. En effet, si au sein d’une même équipe, trois personnes télétravaillent tous les lundis et mercredis et deux autres tous les jeudis et vendredis, un cadre devra être créé pour permettre les interactions entre collègues. Quoi qu’il en soit, s’il y a bien un aspect positif à cette crise, c’est la découverte du télétravail et des formes d’interaction numérique, mais aussi la conscience de l’importance du travail et des échanges avec les collègues. J’en suis extrêmement ravi. »
Quelle est votre plus grande crainte ?
GODDERIS.
« Que rien ne change. J’ai le sentiment que le bon vieux temps manque à tout le monde, y compris à moi. Il est fréquent d’entendre parler de la “nouvelle normalité ”, mais tout le monde aspire manifestement à la normalité d’avant. Nous avons dès lors trop tendance à regarder derrière nous et à nous languir de ce que nous ne pouvons plus faire, alors que nous ferions mieux de regarder vers l’avant. Nous avons notamment appris à faire preuve d’une grande résilience, à nous adapter rapidement et à prendre des mesures radicales. En tant que société et en tant qu’individus, nous aurons besoin de ces facultés pour opérer un changement. Nous sommes à présent armés jusqu’aux dents contre le virus, mais il reste des défis à relever : l’augmentation constante des incapacités de travail de longue durée et le problème du changement climatique. Nous ne nous sentons pas encore vraiment accablés par ce dernier point, bien qu’il s’agisse d’un défi crucial. Notre société a encore énormément à apprendre. Il serait regrettable de se contenter d’un simple retour en arrière. Il est temps d’aller de l’avant. »
Lisez ici l’article complet en néerlandais (réservé aux abonnés).
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